Il y a 2,3 milliards d’années, le Grand Bond d’Oxygénation (aussi appelé Grande Oxygénation) est un événement majeur dans l’histoire de la Terre et l’évolution de la biosphère. En effet avant ce Grand Bond, l’atmosphère de notre planète était bien différente de l’actuelle avec des teneurs en gaz à effet de serre importantes et l’absence de dioxygène. Dans ces conditions à priori hostiles, la vie ne se développe essentiellement sous forme de microorganismes (ex : bactéries) capables de vivre sans dioxygène. Ce serait à partir de ─2,9 milliard d’années que des bactéries particulières, les cyanobactéries commencèrent à fixer le carbone du dioxyde de carbone atmosphérique et rejeter une molécule qui changea le cours de l’évolution : le dioxygène. Cependant, en raison de son aptitude à oxyder de nombreuses espèces chimiques, le dioxygène à peine produit, fut consommé par de nombreux réactifs, dont le fer qui était alors abondant dans les océans. Tout ce fer oxydé précipita sous forme d’oxydes de fer et forma des gisements de fer rubanées (Banded Iron Formation en anglais ou BIF) entre ─3 et ─2,4 milliards d’années. Ce n’est que quand la production d’O2 a surpassé la quantité de réactifs (dont les ions Fe2+) que la concentration du dioxygène dans l’océan et l’atmosphère augmenta : c’est le Grand Bond d’Oxygénation.
C’est dans ce contexte que se sont déposées les formations sédimentaires du Turee Creek (Australie). Dans ces formations, des microorganismes fossiles (ou microfossiles) associées à des minéraux ferrugineux ont été retrouvés au niveau de formations de fer rubanées. Ce nouvel assemblage a ainsi offert l’opportunité à une équipe de chercheurs de l’Université de Lille-CNRS (Laboratoire d’océanologie et de géosciences ; Unité matériaux et transformation ; Institut d’électronique, de microélectronique et de nanotechnologie) et de l’Institut de Physique du Globe de Paris, d’étudier des microorganismes datant de cette période cruciale de l’évolution de notre planète.
Les observations au microscope optique et Microscope Electronique à Balayage ont montré que ces microorganismes forment un réseau similaire à des toiles d’araignées typique de colonies bactériennes ayant été rapidement fossilisées par de la silice (SiO2). Bien que ces microfossiles bactériens soient de formes assez simples (principalement des filaments sans cellules préservées), nous avons pu mettre en évidence la présence de différentes morpho espèces plus ou moins associées avec des minéraux ferrugineux (voir image ci-dessous).
Ci-dessus : photographies en microscopie optique de différentes morpho-espèces de microfossiles encroutés par des minéraux ferrugineux (avec une augmentation de l’encroutement par les cristaux du haut vers le bas). Ces microfossiles sont préservés dans un chert (roche siliceuse) de Turee Creek. Barres d’échelle de 5 micromètres (5 millièmes de millimètres).
Nos nano-analyses effectuées au Microscope Electronique à Transmission (image ci-dessous) ont montré que la présence des cristaux ferrugineux a eu un impact négatif sur la préservation des parties organiques de certaines morpho espèces de microfossiles. De plus, la signature isotopique du Fer (56Fe/54Fe) des minéraux ferrugineux associés aux microfossiles indique que le fer a pris part à une réaction d’oxydation. Le couplage de ces observations suggère que certains de ces microorganismes étaient des bactéries oxydant du fer dans un environnement relativement profond riche en fer.
Ci-dessus : image en microscopie STEM de deux morpho-espèces de microfossile. A gauche : la matière organique (en jaune) entourée par des cristaux de quartz, forme une fine paroi qui contenait les cellules bactériennes. A droite : autre morpho-espèce de microfossile dont la matière organique (rares points jaunes) a été remplacée par des minéraux ferrugineux (en bleu et blanc) préservés dans du quartz (gris). Barre d’échelle : 2 micromètres.
Enfin cet assemblage bactérien associé avec des formations de fer présente des similarités avec des microfossiles déjà décrits et issus d’autres strates de la formation de Turee Creek qui avaient été interprétés comme des bactéries métabolisant du soufre plutôt que du fer. Cela suggère que lors d’un changement d’environnement de ferrugineux à sulfuré, caractéristique du Grand Bond d’Oxygénation, les mêmes bactéries auraient pu adapter leur métabolisme, ou être remplacées par d’autres communautés bactériennes d’aspect relativement similaire.
auteur du texte de cette page : Alexandre Fadel
Source : Precambrian research
DOI : 10.1016/j.precamres.2017.07.003
Iron mineralization and taphonomy of microfossils of the 2.45–2.21 Ga Turee Creek Group, Western Australia
Alexandre Fadel1, Kevin Lepot1, Vincent Busigny2, Ahmed Addad3, David Troadec4
1 Laboratoire d'Océanologie et de Géosciences, Université de Lille, Université Littoral Côté d’Opale, CNRS UMR8187
2 Institut de Physique du Globe de Paris, Sorbonne Paris Cité, Université Paris Diderot, CNRS UMR7154 CNRS
3 Unité Matériaux et Transformations, Université de Lille, CNRS UMR8207
4 Institut d’Electronique, de Micro-électronique et de Nanotechnologie, Université de Lille, CNRS UMR8520